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Littérature ado ou "Young adult" ?

2020-03-11 20:47

Admin

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Littérature ado ou "Young adult" ?

Depuis une dizaine d’années, le terme de littérature « Young adult » (YA) s’est incrusté dans le paysage de la création et de l’édition. Est-ce un bien ?

         Depuis une dizaine d’années, le terme de littérature « Young adult » (YA) s’est incrusté dans le paysage de la création et de l’édition. C’est une désignation que je n’aime pas beaucoup, car elle me paraît très floue. Aussi, après avoir lu avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, bien qu’étant moi-même une « old adult » le roman de Vincent Villeminot, Nous sommes l’étincelle, j’ai eu envie de réfléchir un peu à cette notion;

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De la sociologie à la littérature : ados, Young Adults, et New Adults

 

             Il est certain que, d’un point de vue sociologique, le passage de l’enfance à l’âge adulte a beaucoup changé depuis un siècle et beaucoup reculé. Autrefois, on basculait pratiquement d’un seul coup de l’une à l’autre, démarrant très tôt sa vie sexuelle, familiale et professionnelle. Ainsi l’âge légal du mariage en France était-il fixé à 12 ans pour les filles et 14 pour les garçons avant 1789, puis à 15 et 18 au XIXème siècle. On pourrait évoquer aussi le Libertador de l’Amérique du Sud, Simon Bolivar, qui commença sa carrière militaire à l’âge de 14 ans, se maria à 19 et devint veuf à 20.  

           La littérature jeunesse a longtemps suivi ce schéma : pour ceux qui comme moi ont grandi dans les années 60-70, les lectures passaient abruptement de la « Bibliothèque verte » et « Rouge et or » à Balzac et Zola ou à des auteurs contemporains populaires comme Guy Des Cars, Robert Sabatier, Hervé Bazin, Barjavel, Pearl Buck... Je me souviens personnellement avoir eu du mal, entre 14 et 17 ans, durant mes années lycée, à trouver des livres qui m’accrochent vraiment.

           La notion d’adolescence, une période de transition qui allait, en gros, de la puberté à la vingtaine était certes apparue vers la fin du XIXème siècle, mais il a fallu près d’un siècle pour qu’elle s’impose et qu’émerge dans son sillage une nouvelle catégorie de littérature : le roman ado. Les premiers romans de Marie-Aude Murail datent des années 1980, ceux de Mourlevat des années 90.

 

        Or voici que depuis une petite vingtaine d’années l’évolution de nos sociétés a vu l’apparition d’une nouvelle catégorie d’âge qui vient s’intercaler entre adolescence et âge adulte, traduisant le recul toujours plus important de la maturité et la difficulté grandissante qu’éprouvent les jeunes à entrer pleinement dans l’âge adulte, à « se poser » comme ils disent, aussi bien dans leur vie personnelle que professionnelle. Dans les années 2000 on a forgé pour décrire ce phénomène le néologisme « adulescents ». Aujourd’hui on parle plutôt de « jeunes adultes ».  

                Quel que soit le terme utilisé, on peut penser que c’est l’émergence de cette tranche d’âge supplémentaire dans nos sociétés industrialisées qui a entraîné l’apparition d’un nouveau créneau en littérature, dénommé (en conservant l’expression anglaise le plus souvent) littérature « Young adult »  (« YA ») et censé s’adresser à des lecteurs d’âge déterminé. Cependant cet âge n’est pas le même selon les pays :

              Aux États-Unis le créneau YA correspond au départ à des lecteurs de 12 à 25 ans, englobant ce que nous appelons en France « adolescent », « grand adolescent » et « jeune adulte ». Mais cette catégorie étant en fait beaucoup trop large, est apparue depuis dix ans une nouvelle catégorie, appelée « New adult ». On peut donc dire qu’à présent aux États-Unis le YA se limite aux 12-18 ans, visant un lectorat plus jeune que son nom le ferait supposer, le « New adult » prenant ensuite le relais pour s’adresser aux 18-30 ans. 

            En France, on semble marquer le point de rupture différemment : la littérature « ado » vise plutôt les 12-15 ans, la catégorie « YA » les grands ados et jeunes adultes de 15-30 ans. 

 

               Plusieurs questions se posent alors :

Qu’est-ce qui peut bien fédérer des lecteurs d’âge aussi divers ? Peut-on relever, dans ces romans qui attirent autant un jeune ado qu’un trentenaire, un ensemble de caractéristiques ? Qu’est-ce qui différencie un roman YA d’un roman ado ? D’un roman adulte ?

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Petite typologie du roman YA

 

Le roman de l’imaginaire : fantastique, fantasy, anticipation, dystopie

 

            Comme le soulignent toutes les études qui lui sont consacrées, la littérature YA n’est pas un genre, mais une catégorie déterminée en fonction de l’âge supposé de son lectorat, et beaucoup des genres habituels du roman s’y retrouvent, de l’anticipation à la romance.

                  Il est facile cependant de remarquer que l’anticipation, la dystopie, le fantastique et la fantasy y sont représentés de façon dominante, de Harry Potter à Twilight en passant par Hunger games. Comme le souligne un article d’Actualitté : « Tout le défi est de (...) s’adresser en même temps à la jeune fille qui vit ses premiers amours, au jeune actif qui lit dans le métro, à l’étudiante en fac ou au nouveau père de famille. Il est difficile pour les romans réalistes de se soustraire à un cloisonnement générationnel strict. Comment les préoccupations d’une collégienne pourraient-elles trouver un écho auprès d’un trentenaire ? »

                   Se déroulant dans un monde différent du nôtre, ces livres échappent à la contrainte du réalisme et permettent de faire vivre aux jeunes héros ou héroïnes des aventures palpitantes bien éloignées du quotidien banal, où les ados sont confinés à l’école et les jeunes adultes confrontés à la recherche d’emploi. Cela permet aussi d’exploiter tout le potentiel spectaculaire, horrifique et fort en émotions de la violence, dont sont souvent friands les jeunes lecteurs, tout en la mettant à distance  en la faisant advenir dans un univers imaginaire.

 

Le roman réaliste

 

          Mais, après le succès phénoménal de ces genres de l’imaginaire, certains observateurs de la littérature jeunesse notent un retour au réalisme, réalisme qui avait fait les beaux jours du roman ado en traitant de problèmes psychologiques, de société ou d’histoires familiales dans les années 80-90. En témoigne l’exemple souvent cité de Nos étoiles contraires. 

             Il me semble cependant qu’en France, parallèlement à la vague déferlante des best-sellers américains appartenant au domaine de l’imaginaire,  la veine réaliste s’est toujours maintenue, par exemple dans les collections « D’une seule voix » chez Actes Sud, « Romans ados » chez Thierry Magnier, « Exprim’ » chez Sarbacane, pour n’en citer que quelques-uns.

 

 

La romance

 

           Peut-on vraiment inscrire dans ce retour au réalisme la « romance », genre plébiscité par un lectorat essentiellement féminin, et surtout exploité par des autrices anglo-saxonnes ? Elle se taille en tout cas une part non négligeable dans la catégorie YA, avec des titres comme Ugly love, After et compagnie. La sexualité y est moins crûment exposée et moins sado-maso que dans le célèbre « mum porn » (le porno pour  mémères) 50 shades of Grey (paraît-il, car j’avoue, je n’ai lu aucun de ces titres..) et la fin résolument conforme aux attentes des lectrices comme en témoigne cet avis (non corrigé) publié sur le site Babélio à propos d’Ugly love :

 

« Oh, je sais, j'en entend qui disent que ce n'est pas de la grande littérature ... Mais moi je dis que cette auteur devrait avoir systématiquement un bandeau d'avertissement sur ses livres :"Attention, une fois commencé, vous ne pourrez plus vous en détacher ! ". Cette auteur a un talent fou pour attraper son lecteur (Oups ! Pardon! Sa lectrice...), et ne plus la lâcher.
Ses romans fonctionnent comme des polars, vous voulez savoir LA FIN!!!!!! 
Et vous voulez que ses romans finissent comme vous avez envie qu'ils se finissent, c'est à dire : Bien !
Et entre le début et la fin, vous vous délectez, car c'est juste Bien ! »

 

          Pour évoquer la sexualité en s’adressant à des jeunes, mais  loin de la « romance » qui mélange à la louche piment et eau-de-rose, on peut noter l’apparition récente en France de la collection « L’ardeur » chez Thierry Magnier, créée justement  « pour sortir des schémas et des corps stéréotypés véhiculés par la romance ou le porno gratuit ».

 

Le roman d’apprentissage

 

        On lit aussi très souvent que les romans YA appartiennent au genre du « roman d’apprentissage », ce qui est une tautologie, me semble-t-il : mettre en scène des personnages jeunes c’est forcément mettre en scène des situations d’apprentissage. 

            Mais à ce compte, la littérature n’a pas attendu l’apparition de la catégorie YA ou NA (New adult, au cas où vous seriez un peu perdus...) : va-t-on désormais coller l’étiquette YA ou NA aux Souffrances du jeune Werther, de Goethe, au Rouge et le Noir de Stendhal, à Nana de Zola, à Adolphe de Benjamin Constant, aux Illusions perdues de Balzac, à L’idiot de Dostoïevski ? Non, sans doute, et pourquoi ?

 

L’écriture

 

 La première raison est sans doute que contrairement à ces classiques du XIXème siècle, le roman étiqueté (par les éditeurs qui revendiquent explicitement cette dénomination) YA ou NA obéit à une règle simple : il doit être facile à lire.

 

           Voici par exemple ce qu’en dit Agnès Marot, directrice de collection YA chez Scrineo (citée par Alexandra Grenon, Mémoire de recherche en Master Édition, 2017) :

« Peu importent le genre, la structure de l'intrigue ou le thème abordé : il faut surtout un style et une histoire qui vous happent depuis le début et ne vous lâchent plus, des émotions fortes et des enjeux clairs. » 

 

            Ou encore l’éditrice de la collection YA chez Bragelonne (citée dans un compte-rendu du CRILJ sur une rencontre organisée entre le CNL et Babélio) : 

« La voix narrative doit être entendue avant la dixième page. La présentation, en début de roman, ne dépasse pas trois pages. Les livres sont écrits pour fonctionner en lecture plaisir. »

 

               Certains auteurs (à succès) de YA partagent ce point de vue, par exemple Victor Dixen, Grand prix de l’imaginaire à deux reprises (dans une interview à France-culture) :

« Beaucoup d'auteurs passent du roman adulte au roman jeune adulte parce qu'ils retrouvent une forme de liberté. Le problème avec la littérature française c'est qu'elle est tellement obsédée par le style qu'elle en oublie l'histoire. Les jeunes ont besoin d'être emportés par une histoire et des personnages dès la première page et jusqu'à la fin d'un livre. »

 

             Nombreux sont cependant les auteurs et autrices dont les livres classés (parfois malgré eux) en YA ou NA montrent un vrai travail d’écriture et sont très loin d’être des produits formatés dans l’unique désir de plaire au plus grand nombre, donc de vendre un maximum. De là une certaine réticence chez ces auteurs à voir leurs romans assimilés à des best-sellers (souvent américains) dont les chiffres de vente font certes envie mais dont la qualité littéraire laisse souvent à désirer.

 

Les clés du succès en YA

 

          L’énorme succès commercial des best-sellers YA vient donc de leur facilité de lecture et de leur capacité à « attraper », « happer » ou « emporter » le lecteur (vous noterez la similitude des termes employés respectivement par la lectrice, l’éditrice et l’auteur ) grâce à une action pleine de rebondissement, des émotions fortes, un rythme haletant, des personnages séduisants. Il est certain que pour des lecteurs peu « experts », quel que soit leur âge, de telles caractéristiques sont plus attrayantes et accrocheuses que l’obsession du style que Dixen reproche à la littérature française ou que la virtuosité narrative parfois difficile à suivre enseignée dans les cours de « creative writing » américains.

           Mais ce succès est dû aussi à un marketing soigneusement orchestré. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, je vous renvoie au mémoire de recherche d’Alexandra Grenon déjà cité qui étudie de façon très complète la stratégie commerciale mise en œuvre pour promouvoir ces romans YA : premières de couverture, liens édition-cinéma et séries, réseaux sociaux, « book trailers », événements et animations, produits dérivés, distribution d’épreuves non corrigées, etc.

 

Conclusion: étiquettes, flacon et ivresse

 

          Comme toutes les étiquettes, celles de YA et NA sont réductrices et schématisantes. Je trouve pour ma part tout à fait inutile la catégorie New Adult, sans doute parce que j’ai eu 18 ans à une époque où cette catégorie n’existait pas. Sans doute aussi parce que, de par mes études et mes goûts, je me suis plongée assez vite dans la « grande littérature », on pourrait dire aussi « la littérature pour les grands ».  En revanche j’aurais adoré à 14 ans trouver des livres destinés à ma tranche âge et correspondant à mes questions, mes intérêts et mes capacités de compréhension, et, faute de littérature ado, j’ai vécu quelques années de désarroi et d’insatisfaction au niveau de mes lectures.

 

           Il est dommage à mon avis que l’édition française se soit emparée de cette dénomination YA pour plusieurs raisons : 

·      --> Elle est stupide quand on l’applique à de jeunes ados, à l’américaine. Le mot adolescent existe et me paraît plus approprié (outre le fait que, bien qu’adorant la langue anglaise, je ne suis pas fan des anglicismes inutiles)

·        -->  Est-elle vraiment nécessaire appliquée à un lectorat de 18 ans et plus ? Faut-il publier en littérature générale des romans comme Nous sommes l’étincelle, de Vincent Villeminot, dont la lecture a déclenché cette réflexion chez moi ? J’aurais tendance à dire oui, car on ne va pas compartimenter sans cesse le lectorat : après le YA et le NA, le MA (Mature adult), le SA (Senior Adult) et le AA (Antique adult) ? 

·      --> Enfin, s’appliquant trop souvent à des textes produits dans un but essentiellement commercial et devenue un argument marketing, l’expression anglaise finit par être dépréciative et ne rend pas justice aux textes exigeants qui se retrouve étiquetés ainsi. 

 

Trop de daubes YA connaissent un succès planétaire grâce au marketing, éclipsant des romans de bien meilleure tenue. Heureusement, s’il reste des auteurs et autrices exigeants, il reste aussi des lecteurs et lectrices qui ne le sont pas moins et qui, quelle que soit l’étiquette apposée sur le flacon, savent apprécier le contenu quand il est bon.

 

 

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Les trois âges de la vie, de Giorgione

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